Les anglais et l'histoire du Pyrénéisme
Le 18 éme siècle
Dès le milieu du XVIlle siècle, attirés par la réputation des eaux thermales capables de guérir les blessures par balle, des officiers anglais vinrent à Barèges, Bagnères-de-Bigorre, Bagnères-de-Luchon.
Le docteur Londonien Christopher Meighan, arrive à Barèges en 1739. Il y étudie pendant quatre ans les effets thérapeutiques des eaux thermales et publie en 1742 les résultats de ses travaux, fort favorable pour Barèges. Il en profite pour découvrir les grands sites des Pyrénées. De passage à Gavarnie, nous lui devons la première description du cirque : »Là, je trouvais des œuvres de la nature dignes d’être décrites. Des ponts de neige aux arches parfaites assez solides pour supporter cavaliers et montures et qui, selon toute probabilité, ont toujours subsisté depuis le déluge… »
En 1766, Henry Swinburne, un voyageur et écrivain (il racontera ses récits dans divers ouvrages) organisa une véritable expédition à Gavarnie après avoir gravi le pic du Midi de Bigorre. « … Nous eûmes bientôt atteint le centre du plus stupéfiant amphithéâtre ; trois de ses côtés sont formés par une chaîne de rochers perpendiculaires, le quatrième est ombragé de bois; au-dessus du mur vertical qui s’élève à une hauteur effrayante, se dressent plusieurs gradins de masses disloquées, chacun revêtu d’une couche de neige éternelle. A l’est, la montagne culmine en cimes bien tranchées et part vers l’Ouest en un immense banc de neige. De ces entassements congelés naît le Gave : treize torrents se précipitent au fond de l’immense abîme et unissent leurs eaux à son pied. Tout l’angle occidental de l’aire inférieure est couvert d’un lit de neige… »
Un autre Anglais, Milord Butte s’exclame: « La grande, la belle chose !… Si j’étais encore au fond de l’Inde, et que je soupçonnasse l’existence de ce que je vois en ce moment, je partirais sur le champ pour en jouir et l’admirer. »
La première représentation graphique connue du Cirque date de 1783 et est l’œuvre d’ Archibald Robertson.
Mais les événements tourmentés de cette fin de siècle empêchèrent l’essor de ce premier flux.
Le 19 éme siècle
L’engouement des britanniques pour les Pyrénées reprit de plus belle après 1815. Ce fut le départ d’une véritable mode qui se traduisit par la publication d’un nombre incalculable de récits de voyage, de poésies ou d’albums de lithographie.
A cette époque, l’éducation des jeunes aristocrates anglais prévoyait un voyage sur le continent : le Grand Tour. C’est ainsi que Lady Fortescue, fille du grand banquier londonien Hoare, incorpora les Pyrénées dans son Grand Tour.
Du 3 avril au 26 juin 1818, elle parcourt les Pyrénées du Canigou à la Bigorre et fit 75 dessins de grand format de sites prestigieux, en utilisant le procédé de la chambre claire qui lui permet de reproduire les sommets avec précision. Ce reportage graphique sur les Pyrénées est le plus ancien connu.
En 1822, l’écrivain J.Hardy, au pied du Marboré, donne son impression: « Vous avez à peine conscience d’exister et vous éprouvez une sorte d’extase ou d’exaltation intérieure qui parait être l’effet de la magie. »
Un jeune diplômé de Cambridge, Clifton Paris, publia « letters from the Pyrenees » où il fit le récit de ses excursions pédestres pendant l’été 1842 et l’illustra de dessins pris sur place. Il s’était rendu dans les Pyrénées, attiré par les écrits de James Erskine Murray, avocat écossais qui avait parcouru nos montagnes en 1834-1835 et dont l’ouvrage « A summer in Pyrenees » avait eu un tel succès qu’une autre édition avait été nécessaire en 1842.
Une anglaise au Vignemale
Miss Ann Lister (1791-1840) nait à Halifax (Yorkshire). Elle devient la seule héritière de la famille et une bonne fortune lui permet de vivre de ses rentes.
Lors de son premier voyage dans les Pyrénées en 1830, elle effectue son premier exploit de montagnarde.
Avec le guide Jean-Pierre Charles et le guide Étienne, elle part de Luz, le mardi 24 août pour passer la nuit à Gavarnie. Le lendemain c’est le départ pour la Brèche de Roland via l’Échelle des Sarradets. La brèche franchie, ils descendent à la cabane de Gaulis et passent la nuit en compagnie de bergers occupant les lieux.
Après un départ à 3 heures du matin, le sommet du Mont-Perdu est atteint à 8 heures. De retour à la cabane Ann très fatiguée se repose avant de continuer la descente. Étienne les quitte pour aller chercher le cheval à Gavarnie en passant par la brèche. Ann et Charles descendent par le canyon d’Ordesa et atteignent Torla à 7 heures du soir.
Le lendemain, ils remontent au col de Boucharo ou les attend Étienne. Enfin, le 28 août ils regagnent Luz par Héas.
Ann Lister finira son séjour en visitant Cauterets, Luchon et Bagnères de Bigorre.
Elle revient dans les Pyrénées en 1838 avec une amie. Elles arrivent à Luz le 09 juillet, ou Ann embauche son ancien guide Jean-Pierre Charles et Jean-Pierre Sajous. Les deux amis randonnent à cheval dans les environs. Mais Miss Ann Lister à envie d’une grande aventure. Ainsi le 24 juillet, du sommet du Piméné elle cherche un itinéraire pour aller au Vignemale, mais conclut qu’il est inaccessible par le coté français à cause du glacier.
Elle se rend à Gedre pour aller voir Cazaux, le seul à avoir atteint le sommet. Elle l’engage sur le champ et prépare l’ascension pour fin juillet.
Le mauvais temps la contraint a repousser l’ascension. Mais un concurrent sérieux pour la première ascension de touristes se présente: le Prince de la Moskova. Il retient également Cazaux. Lorsque Ann est informée des projets de son concurrent elle décide de partir immédiatement.
Le lundi 06 août, malgré un temps maussade, elle prend le chemin du Vignemale avec les guides Cazaux, Guillembet (les deux premiers vainqueurs du Vignemale) Charles et Sanjou. Ils passent une courte nuit dans la cabane de Saoussat Débat, et à 2 H 45 la petite troupe part pour le Vignemale.
Le sommet est atteint à 13 heures, ce 07 août 1838 (Troisième ascension).
Miss Ann Lister rentre dans l’histoire du Pyrénéisme à 47 ans, en devenant la première femme et la première touriste qui atteint le sommet du Vignemale.
Elle écrit son nom et ceux de ses guides sur une feuille qu’elle glisse dans une bouteille et à 14 h 10 c’est le début de la descente par la même voie. A 20 heures de retour à la cabane de Saoussat Débat, Ann, très fatiguée dort deux heures. A minuit moins le quart, Cazaux, devant guider le lendemain le Prince de la Moskova, part pour Gédre. Ann et ses deux guides arrive à Gavarnie à 1 heure le mercredi 08 août.
Le col situé entre le pic de Cerbillona et le pic Central se nomme col Lady Lister en souvenir de cette ascension.
4 jours plus tard, le 11 août 1838, le prince de la Moskowa, avec son frère et son domestique, réussi la quatrième avec les guides Cazaux, Guillembet et Vincent de Luz, Baptiste Bareilles de Gavarnie et Jean Marie de Saint Sauveur.
Mais, depuis l’ascension de Ann Lister, la bouteille contenant les noms des vainqueurs a disparu du sommet. Cazaux à laissé croire au Prince qu’il est le vainqueur et lui dit que Ann Lister a abandonné plus bas.
De retour d’un court séjour en Aragon, elle apprend la chose par le guide Jean-Pierre Charles. Indignée elle va trouver Cazaux et exige qu’il lui fasse un certificat prouvant sa victoire, sinon elle ne le paiera pas. Cazaux avoue devant témoins: elle est bien le vainqueur du Vignemale. Il essaie de se justifier: le prince n’aurait plus voulu monter si il avait su la montagne vaincue comme il venait faire une première et il a besoin d’argent…
Il fait donc ce certificat à Ann:
« Je soussigné, Henri Cazaux, demeurant à Gèdre, déclare pour rendre hommage à la vérité, que le sept du mois d’août, j’ai servi de guide à Madame Ann Lister de Shibden Hall pour l’ascension qu’elle a faite le dit jour. Elle avait avec elle deux autre guides qu’elle avait pris à Luz, Jean-Pierre Charles et Jean-Pierre Sajous. Je certifie que tous ensemble nous sommes parvenus à la pointe la plus élevée du Vignemale et que, à ma connaissance, personne d’autre n’a jamais monté si haut. En preuve d’ascension, il a été dressé une espèce de colonne en pierres dans le milieu de laquelle nous avons mis une bouteille renfermant un papier que madame Lister a écrit à la date du sept août, ses noms et les noms de ses guides; cette preuve matérielle durera longtemps si quelque autre voyageur aussi intrépide que Madame Lister ne va détruire ce petit monument.
En foi de quoi, à Gèdre, le 17 août 1838.
Signé en présence de Cazaux Henri, Alambon, Jean-Pierre Charles et Jean-Pierre Sajous, soussignés, attestent la vérité des faits rapportés dans la déclaration ci-dessus.
William Oliver
Au début de 1843 parait le célèbre album de 26 lithographies de William Oliver, « Scenery of the Pyrenees » présentant un panorama complet des Pyrénées des Eaux-Chaudes à Foix en passant par tous les sites majeurs.
Son travail présente le fini de la gravure sur acier permettant de faire ressortir chaque détail; associé à la technique de l’aquarelle avec une teinte propre à chaque planche.
Sélina Bunbery
En 1844, parait « Voyages dans les Pyrénées », récit de voyage de Sélina Bunbery.
Charles Packe et Henry Russell
C’est à ce moment là que les deux explorateurs anglais les plus illustres de l’histoire du Pyrénéisme, Charles Packe et Henry Russell arrivent dans les Pyrénées.
Après avoir découvert les Pyrénées en 1853, Packe, jeune avocat, tombe amoureux du massif et s’établit définitivement dans nos montagnes en 1859.
Son nom est associé à la conquête du Balaïtous (3144 m). L’idée de s’attaquer à ce sommet lui vient en lisant le récit d’une autre tentative infructueuse de John Ball, premier président de l’Alpine Club, en 1861.
Après un premier assaut infructueux en 1862, il atteint le sommet (dont il croit faire la première ascension) par l’arête occidentale le 15 septembre 1864 avec le guide Jean-Pierre Gaspard d’Arrens.
Il se révèle un remarquable écrivain et publie en 1862, la première édition de « The guide of Pyrenees ».
En 1864 il réussit la difficile Munia (3134 m) par le versant nord avec H. Chapelle, et la première ascension du Malibierne, avec F.Barrau et Barnes.
Le CAF baptise de son nom un refuge de type ogival construit en 1895 au col de Rabiet.
Quant à Russell, il associa la vie mondaine des stations thermales à la passion de l’escalade. Il est appelé « le plus grand marcheur du monde » ou « le roi des Pyrénées ».
Le 11 Février 1869, avec les guides Hippolyte et Henri Passet, ils réalisent la première ascension hivernale du Vignemale. C’est la première grande ascension hivernale effectuée en Europe.
Il fit du Vignemale son haut lieu spirituel en y creusant des grottes et en devenant propriétaire de « sa » montagne pour une durée de 99 ans le 10 Octobre 1889.
Première aux Posets
C’est le 6 août 1856, que le britannique Halkett, guidé par les luchonais Pierre Redonnet et Pierre Barrau, atteignait le sommet de la Punta de Lardana, ou pic des Posets (le deuxième sommet des Pyrénées: 3375 m). Ils étaient montés probablement par l’est et le lac de Baticielles, tout comme fera la caravane de la seconde ascension emmenée par une autre étoile filante du pyrénéisme, l’anglais Berhens.
La société Ramond
Le 19 août 1864 à l’hôtel des voyageurs à Gavarnie c’est la création de la première Société de Montagnards: La Société Ramond.
Cette idée de réunir les pyrénéistes sous la forme d’un club est calquée sur celle de l’Alpine Club de Londres créé en 1857. D’ailleurs trois des principaux fondateurs de la Société Ramond sont membres de l’Alpine club de Londres: il s’agit de Henry Russell (Secrétaire), Charles Packe (secrétaire adjoint) et E.Maxwell Lyte (Vice président). Ce dernier est un homme d’une culture immense, un touche à tout scientifique, qui va populariser les sites Pyrénéens par la photographie.
Voici le récit de cette soirée historique relaté par Emilien Frossard (président) dans le procès-verbal de la séance :
« Le 19 août 1864, cinq amis prenaient leur repas du soir à l’hôtel Bélou à Gavarnie; c’étaient M. Charles Packe, le comte Henry Russell Killoug, l’auteur de cet écrit et ses deux fils ; ils devisaient sur les courses de la journée ; l’un venait de cueillir des plantes dans les hautes de l’Allantz, un autre descendait des pentes de l’Astazou par les périlleuses roches blanches, un autre venait de parcourir les crêtes supérieures du Marboré, jusqu’à la cime extrême du Cylindre; deux autres, parmi lesquels le plus âgé de la compagnie, avaient accompli des hauts faits moins brillants, s’étant contentés d’une promenade géologique jusqu’à la frontière d’Espagne au port de Boucharo.
Chacun des convives apportait des trésors de son choix, qui des pierres, qui des plantes, qui des émotions et d’impérissables souvenirs et tous s’accordaient à plaindre les oisifs des villes qui ne connaissaient pas les virils exercices commandés par les grandes excursions, ni les saines jouissances attachées à la contemplation de la nature sous ses aspects sauvages et sublimes…
Il leur vint à la pensée qu’ils pourraient bien se liguer contre cette oisiveté et cette indifférence malsaines et attirer à l’exploration et à l’étude de nos belles montagnes les jeunes hommes auxquels il ne manque qu’une première impulsion pour prendre leur élan vers les hautes régions où l’on respire à pleins poumons un air exhilarant et où l’esprit se dilate et le cœur se rassérène.
Ce fut alors qu’ils conçurent la première pensée d’une Société d’Exploration Pyrénéenne; quelques jours après, ils fondaient avec quelques amis, à Bagnères-de-Bigorre, la société Ramond. »
Une belle première à l'Astazou
Un autre Anglais, ami du comte Russell, F.E.L. Swan (des hussards de la princesse de Galles, membre du Club Alpin Français) réussit une très belle première sur Gavarnie: la première ascension de l’Astazou par le couloir séparant les deux sommets. Depuis ce couloir porte le nom de son premier vainqueur.
A Gavarnie, la question se posait depuis longtemps de savoir si il était possible de faire l’Astazou par le nord, par ce grand couloir de neige…
Le 16 Sept 1885, Swan, part à sept heures du matin avec le guide Henri Passet vers le Pailla.
Dés le pied du couloir, les deux hommes rencontrent de terribles difficultés. Face à une première crevasse, ils sont obligés de mettre pied sur le rocher de gauche très difficile pour réussir à passer au dessus. Plus haut une nouvelle crevasse immense coupe littéralement en deux le couloir. Ils y descendent et doivent remonter le mur d’en face qui offre une grande résistance, alors qu’une avalanche passe tout prés d’eux.
Plus haut les difficultés ne décroissent pas: rimaye, paroi lisse et pont de neige se dressent encore devant eux.
Ils arrivent à la partie supérieure du glacier la plus redressé: « Henri dut tailler des pas, tant pour les mains que pour les pieds, se tenant avec un pied et un genou sur la pente à laquelle son corps frottait tandis qu’il taillait: au moindre faux mouvement une chute mortelle dans la grande crevasse en bas était immanquable ». En effet dans cette ascension, Henri Passet, tailla plus de 700 marches dans le couloir.
A 11 h 30, ils arrivent sur le rocher gauche: « Nous nous assimes pour revenir à nous-mêmes et Henri me dit, en fument une cigarette: – je fume maintenant avec plaisir, mais la dernière que j’ai fumé, je l’ai fumée sans savoir ce que je faisais. »
Après un mauvais pas sur la gauche qui les obligent à se déchausser, c’est la fin des difficultés et ils arrivent au sommet de la cime orientale à 12 h 45. Après un passage au pic occidental ils redescendent par le col d’Astazou et les rochers blancs.
De retour à Gavarnie, Swan s’entend dire par certains: « Quand on n’a point voyagé dans les Alpes, on ne sait point ce que c’est un pic réellement difficile … »
Fou de rage, il attend l’année suivante pour partir dans les Alpes prouver ses capacités de montagnards. Avec Henri Passet et les célèbres guides Gaspard père et fils, il fera cette année là l’Aiguille du Plat, la Meije, le Mont-Blanc, et le Dru Occidental (cinquième ascension).
Pour cause de mauvais temps, il revient dans les Pyrénées et fait le Cylindre et le Balaïtous par la cheminée Est.
A l’issue de cette tournée alpestre Swan conclut: « Le Dru infiniment plus dangereux que la Meije; mais Henri et moi nous sommes cependant convaincus que ni le Dru, ni la Meije ne peuvent, malgré la longueur, être comparés à notre ascension de l’année dernière à l’Astazou dans les conditions ou nous l’avons faite. »
En 1892, Charles Packe fit une ultime tournée mélancolique de la Maladetta au Mont Perdu. Sa mort en 1896 puis celle de Russell en 1909 annoncent le temps du déclin du pyrénéisme britannique.